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LES BLOQUEURS DE MON CHANGEMENT, Alizé "Ce sont nos propres valeurs qui nous empêchent de changer et en même temps qui nous guident vers autre chose"

Interviews

15 avril 2023

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Alizé a un parcours dans la santé. Malgré son amour pour son travail, ses valeurs la poussent à vouloir changer d’environnement et elle nous raconte pourquoi.

Est-ce que tu peux m’expliquer en quelques mots quel est ton métier ?

Je suis responsable d’équipes qui réalisent des soins auprès de tout type d’enfants, de 0 à 18 ans.

Je chapeaute le service de néonatologie, de la biberonnerie, qui s’occupe de la préparation des laits de toute la maternité, et le CAMS qui s’occupe des enfants en situation de handicap, qui a une plateforme de diagnostic des troubles autistiques et des enfants qui ont des difficultés d’acquisition primaires avant de les réorienter vers soit des professions libérales,  soit des structures plus adaptées.

T’as toujours fait ce métier ?

Non, initialement j’ai exercé le métier de soignant, infirmière puéricultrice en service de néonatologie.

Quel est ton rythme de travail ?

39h semaine du lundi au vendredi avec occasionnellement des weekends de garde.

Pourquoi tu as choisi ce métier ?

Le domaine de l’enfant et de la triade parents-enfant sont des domaines passionnants sur lesquels on a une action gigantesque et variée.

Après l’évolution de carrière dans le domaine de la santé, cadre de santé était une évidence puisqu’on a pas d’autres évolutions de carrière dans le métier du soin et plus particulièrement dans le milieu hospitalier. C’est l’évolution vers laquelle on nous guide.

Le métier d’infirmière puéricultrice t’a attiré dès le début ?

Oui, l’accompagnement des enfants et des parents, les aider à grandir (aussi bien les enfants que les parents), dans l’évolution, lever les doutes, renforcer la capacité de chaque parent à être parent et à se faire confiance. Que chaque parent se fasse confiance et fasse confiance à son enfant aussi.

Tu aimes ce que tu fais ?

J’adore ! (rires) J’adore mon métier, c’est pour ça qu’il est toujours difficile de trouver un juste équilibre entre manager une équipe et garder l’essence même de notre métier d’origine, donc notre métier de soignant. Il faut se laisser du temps pour rencontrer régulièrement les parents, être au plus proche du soin, ne pas se lasser et garder notre dynamisme, le cœur de notre métier.

Ça fait combien de temps que tu travailles dans ce domaine ?

10 ans, 5 ans en tant qu’infirmière puéricultrice et 5 ans en tant que cadre de santé.

 

Et aujourd’hui tu as envie de changer ?

Oui, quitter le milieu hospitalier où les valeurs primaires de l’offre de soins à tous me semblent perdues de vue, mais aussi l’accessibilité des soins.

C’est un vrai parcours du combattant aujourd’hui, et aussi les soins qu’on peut proposer aux patients ne sont plus tels que je les conçois, c’est difficile de voir l’hôpital dans cet état.

Je ne conçois pas qu’on délivre des soins d’une telle qualité, donc je préfère quitter le bateau.

Aujourd’hui tu veux changer de métier, depuis quand ?

Depuis une année à peu près, ce qui est difficile c’est quitter pour quoi ? C’est toujours la grande question.

Et puis on a aussi cette pointe de culpabilité de se dire qu’on ne peut pas abandonner le service public quand il est au plus mal, c’est l’essence même d’une de nos valeurs professionnelles. On a envie de persister parce qu’on se dit que si nous on part alors qu’on y croit encore de tout cœur, qui va rester et qui va pouvoir soigner les patients ? Ça c’est difficile.

 

En soi, ce sont nos propres valeurs qui nous empêchent de changer et en même temps qui nous guident vers autre chose, puisqu’on est plus en cohérence complète avec ces dernières dans ce qu’on offre actuellement. C’est complètement ambivalent ! Et dans sa vie professionnelle, euh… personnelle, c’est peut être un lapsus (rires), on se dit toujours qu’on aura des jours meilleurs et qu’on va retrouver l’origine de ce que l’on cherche.

Aujourd’hui ce sont les raisons principales qui t’empêchent de partir.

Et aussi si on veut évoluer, être dans une grosse structure de santé c’est compliqué, parce qu’il faut passer des concours internes, que quelqu’un veuille bien avoir confiance en nous puisqu’on nous laisse jamais faire nos preuves complètement non plus. Donc accéder à une place supérieure c’est un vrai parcours du combattant.

C’est un des bloqueurs aussi car on est obligé de…ben, je sais même pas ce qu’on est obligé de faire car même si on verbalise le fait qu’on veut évoluer et même quand on montre qu’on est capable de le faire, on ne nous laisse pas. Ça ne suffit pas. Pour quelles raisons ? Peut-être parce qu’on a tellement besoin, à toutes les strates, de professionnels .

Ça veut dire que si moi on m’offre un poste supérieur, il faudra quelqu’un pour me remplacer, et à l’heure actuelle on n’en trouve pas. C’est peut-être une raison, outre le fait que je sois peut-être nulle (rires). C’est un vrai combat, non seulement de changer pour se retrouver complètement, mais aussi de prouver sans arrêt qu’on est en capacité pour nous laisser évoluer.

Avant d’être cadre de santé, j’ai mis plus d’un an à accéder au poste de faisant-fonction et 2 ans avant d’aller à l’école. J’ai fait 3 ans en fonction sans être payée au titre de ce que j’exerce. C’est le processus ordinaire qui peut être complètement décourageant, puisqu’en passant de infirmière puéricultrice à cadre de santé apprenant, j’ai perdu 250€  sur mon salaire, donc sur un salaire de 1900€. Il faut avoir du courage !

Avoir de l’ambition, je ne sais pas trop car finalement quand on a de l’ambition on est vite bloqués. La seule chose pour évoluer, pour moi maintenant, c’est de ne plus rester dans mon établissement et de changer.

 

Est-ce que tu veux ajouter quelque chose ?

Oui, dans le domaine de la santé, il y a beaucoup de femmes, et mine de rien plus on évolue professionnellement, plus on rencontre des hommes. Typiquement, le fait d’être une femme est un également un frein, on doit prouver plus de choses, on est peut-être moins intéressantes car on a des enfants, on va peut-être être plus disponibles pour notre vie familiale et c’est ce que les gens pensent. C’est un réel blocage en France d’avoir des enfants.

Les gens ont même peur de mettre qu’ils ont des enfants. Même à partir d’un certain âge quand on en a pas, on se dit « ben non on va pas l’embaucher car elle va bientôt avoir des enfants ». Donc oui en étant une femme, on a beaucoup plus de choses à prouver qu’un homme.

Concernant les femmes qui veulent évoluer professionnellement, j’ai des amies avocates qui n’ont pas encore de postes d’associées car ce sont des femmes. On ne leur laisse pas leur chance car on estime qu’elles ne vont pas accorder autant de temps qu’un homme.

Dans le domaine de la santé, les femmes médecins ont réussi à faire leur place mais, malgré tout, quand on remplace un homme par une femme, c’est encore compliqué, car on sait qu’une femme va peut-être juste vouloir faire des heures de travail correctes et pas 80 ou 100 heures par semaine.

Après, ça change aussi chez les hommes et l’évolution des mentalités est en grand bouleversement ; les gens veulent trouver un juste équilibre entre leur vie personnelle et vie professionnelle, on avance vers le jour où ce clivage tombera, mais on n’en est pas encore arrivé là.

Merci beaucoup Alizé

Cathy
Fondatrice d'Uniios