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JE VIS DE MA PASSION : Anais, directrice de crèche « la pire des choses qui puisse nous animer c’est notre peur. C’est le pire des moteurs »

Interviews

17 avril 2023

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Anais dirige une crèche depuis 10 ans, passionnée par son métier, elle nous raconte son chemin jusque là.  

Anais, explique nous ce que tu fais, ton métier, ton activité ?

Je suis gérante d’une crèche de petits de 2 mois à 4 ans, dans le cadre d’accueil éducation. Gérante dans l’approche budget, financier, investissement, tenir une structure avec ses priorités et son business plan, partie qui était nouvelle pour moi.

Et je suis chargée de direction. Ma deuxième mission c’est l’aspect pédagogique, management des équipes, bien-être et offre pédagogique faite aux enfants.

Est-ce qu’on peut dire que c’est ta passion ?

Oui oui complètement! J’ai la chance de m’être trouvée.

J’ai à la base une formation d’éducateur spécialisé, donc j’ai démarré dans le social et ça a été passionnant.
J’ai réussi à trouver un équilibre, j’ai mon métier avec ses contraintes mais c’est une passion pour moi car il y a du sens. Peu importe son métier, il y a des contraintes ou des routines qui plaisent un peu moins, dans lesquels il faut se maintenir pour trouver la flamme et l’énergie.

Je sais pourquoi je le fais et les petits nous le rendent bien.

Tu peux décrire ton parcours ?

Oui, j’ai fait l’école d’éducateur spécialisé en 3 ans en Belgique.

Ensuite, j’ai pris un poste 3 ans avec des adolescentes de 14 à 21 ans, avec des troubles du comportement. Puis au moment du CDI, je doutais déjà concernant l’énergie et l’essoufflement que je pouvais avoir au bout de 3 ans, donc j’ai repris une licence pour travailler dans l’ingénierie de projets et développements.

En sortant, j’ai travaillé sur un projet en Guyane sur le financement de l’accès aux soins liés au VIH entre la France et la Brésil.
Ensuite je suis partie en Inde, où j’ai eu une mission de contrôle des organismes financés sur le statut service civique, statut pour la réinsertion des plus jeunes.
J’ai voyagé quelques mois à travers l’Inde pour cette mission. Puis j’ai fait des missions plus temporaires au Cambodge et au Vietnam.
J’ai fini par revenir aux racines, aux sources, en Moselle.

J’ai repris un poste d’éducateur avec les garçons placés par ordonnance du juge, de 14 à 21 ans. Ça m’a rappelé que j’allais m’essouffler dans le social à force des moyens et des valeurs.
Difficile de rentrer le soir en se disant qu’on avait bien fait son travail. Ça coûte, ça use un peu. Pour faire du bon travail, il faut être bien, donc c’était mon questionnement.
J’ai pris un poste dans une crèche à Luxembourg, et je me suis rendu compte que j’avais aussi la possibilité de créer un établissement.

J’étais un peu effarée par les conditions d’accueil, ça m’a motivé en me disant que je pouvais faire mieux. Donc j’ai fait un poste à mi-temps en crèche et en parallèle j’ai décidé de m’investir sur le projet d’ouverture de ma structure.

Quel était le déclencheur pour se dire « ok j’y vais » ?

Je savais que j’avais quand même envie de retourner vers la petite enfance, les débuts de la vie. Je me suis dit « si on s’occupe d’eux pendant les premières années de la vie et qu’ils ont une bonne base, et qu’on intervient là ,tout de suite  bien ». J’avais à cœur, suite à mon expérience dans le social, de me dire que c’est peut être là qu’on peut poser les meilleurs jalons, chez les tous petits.

C’était mon questionnement mais je n’avais jamais travaillé chez les tout petits, donc j’étais pas complètement sûre de si ça allait me plaire. C’était complètement nouveau. Donc m’impliquer sur l’ouverture d’une structure avec ce doute, c’était un peu risqué pour moi. C’est pourquoi j’ai pris ce poste en crèche, pour consolider mon envie, et ça a été le déclencheur.

Aller dans une crèche, voir comment ça fonctionne, voir la maltraitance.

Je me suis rendu compte des budgets qu’il y avait, et en prenant conscience des moyens qui étaient mis ici à Luxembourg pour les structures privées, ça a vraiment consolidé mon tremplin en me disant qu’avec les moyens donnés, on peut vraiment faire du bon travail, et ça m’a vraiment donné l’aplomb.

Quels étaient tes challenges au début ?

Le financier ! Le crédit bancaire puisque je n’avais pas d’apport, et ça l’est resté un certain temps, car il faut avoir les subventions, ouvrir la structure aux normes, assurer tout ça… Une fois que la structure a été aux normes, il y avait quand même le challenge de la temporalité sur les premières années. Entre le moment où on signe le contrat et le moment où l’enfant arrive dans la structure, il y a 1 à 1,5 an, avec une inertie pour remplir la structure.

Il y a eu aussi beaucoup de contraintes car on ne répondait pas aux demandes des parents des enfants plus âgés. Passé 2 ans, on a envie de mettre son enfant sur une structure de socialisation,  de partage avec les pairs dans le jeu, et c’était pas très parlant (rires) car on n’avait pas de groupes de grands.

Il a fallu le temps que ces petits arrivent dans les groupes supérieurs.

Est-ce qu’il y a des contraintes à vivre de sa passion ?

Je suis moi-même mère, l’équilibre est dur car j’ai du mal à lâcher ici, et en même temps j’ai envie de passer du temps en famille.

Si je suis au travail, je culpabilise de ne pas être en famille, si je suis en famille, je culpabilise de ne pas être au travail …

L’équilibre n’est pas facile. On a envie d’être un petit peu partout. On peut se perdre un petit peu du coup (rires).

Comment tu te sens quand tu vas bosser le matin ?

Je me sens toujours bien. Je me sens toujours impatiente au départ.

Il y a des jours où on appréhende plus, des journées plus agréables que d’autres mais dans l’ensemble, je suis toujours contente de partir travailler, toujours pressée.

J’ai mon programme, tout ce que je veux faire dans la journée, et tant que je suis animée par mon programme et le fait de vouloir le tenir, j’estime que c’est bon signe.

Est-ce tu penses qu’à un moment tu n’en verras plus l’intérêt ?

Je ne sais pas… Et si ça arrive j’espère que j’aurai le courage de lâcher car je ne serai plus bien en faisant ça.

Je me suis quand même posé la question quand mon associée est partie vers d’autres horizons. Je me suis dit « si tu rembrayes là, tu prends la responsabilité d’une structure, de gérer les équipes etc… Est-ce que tu es vraiment contente de partir là-dessus ? ». Finalement avec l’intérêt pour moi de prendre mes propres décisions seule, et de me rechallenger, j’y suis retournée facilement.

Après, ce sont des métiers où il y a une forme de routine dans le quotidien des petits, dans la dynamique d’équipe. Dans un premier temps, on va le prendre comme un challenge et après on fait un peu l’erreur de le prendre pour acquis.

Mais en prenant du recul, en partant en formation, on n’est jamais complètement au point et il y a toujours la possibilité de se renouveler et d’évoluer.

Là j’entame aussi un coaching de dirigeant, qui me fait du bien, comme je n’ai pas de N+1, je vois le bénéfice de faire mon propre entretien d’évolution (rires).

Si tu devais refaire ton parcours, est-ce que tu changerais quelque chose ?

Mhh… Je ne crois pas.

Mon parcours précédent, à force de voyager, m’a permis de voir d’autres manières de vivre, d’autres philosophie de vie, de quitter ce confort, notre vision culturelle, le milieu du travail humain.

Tous ces voyages, au-delà du théorique et du parcours professionnel, m’ont fait prendre conscience des forces et des capacités que je pouvais avoir.
Si je n’étais pas passée par là, si je n’avais pas fait cette coupure, cette distanciation avec ma famille et mes amis, je n’aurais pas forcément pris conscience de vouloir me lancer à 26 ans.

Et puis j’ai travaillé dans le social et j’en suis sortie essoufflée.
Est-ce que ce n’est pas ça qui m’a orienté vers la petite enfance et permis de trouver un équilibre en me disant je veux toujours travailler avec l’humain et le service à la personne ? Je ne sais pas.

Qu’est-ce que tu dirais à quelqu’un qui veut se lancer aujourd’hui ? À faire soit le business dont il a envie, soit changer de job pour faire ce qu’il a envie de faire ?

Je dirais de ne pas hésiter, que la pire des choses qui puisse nous animer c’est notre peur. Et je pense que c’est le pire des moteurs.

Si l’envie est là il ne faut pas hésiter.

Pour moi il n’y a pas plus épanouissant que de faire quelque chose qui a du sens pour soi, et du sens dans le domaine qui nous parle. Mais il faut aussi du sens dans ses propres choix: Pouvoir faire ses choix, les assumer, corriger ses erreurs, aller dans une direction qui nous parle, qui nous correspond, nous anime, fixer ses propres challenges… C’est quand même très gratifiant.

Une personne qui veut ouvrir sa société, je lui dirais qu’il faut n’écouter que soi, et ne pas écouter les gens.

Quand on veut se lancer, il faut se mettre dans sa bulle et n’écouter que soi, je ne l’aurais pas fait sinon.
Quand je me suis lancée, personne ne m’a dit que c’était une bonne idée, tout le monde m’a dit « T’es cinglée ! T’imagine les risques ! ». Il faut faire abstraction de l’avis des autres, des gens et il faut y aller.

On fera toujours écho avec des gens, des projets et souvent on a le retour et les craintes des gens qui ne sont pas les siennes.

Merci beaucoup Anais !

Cathy
Fondatrice d'Uniios